L’indépendance et le Canal
Des troupes américaines furent envoyées pour «soutenir» le nouveau gouvernement panaméen et, le 18 novembre 1903, les droits du canal furent «vendus» aux États-Unis. En réalité, le Panama fut contraint de signer un traité avec les États-Unis par lequel ces derniers entreprenaient la construction d’un canal interocéanique à travers de l’isthme de Panama. En 1904, les États-Unis achetaient à la Compagnie française du Canal ses droits et propriétés pour une somme de 40 millions de dollars. Deux semaines après, et en échange de 10 millions de dollars, le traité Hay-Brunau-Varilla concédait aux États-Unis «l’usage à perpétuité» d’un canal encore à creuser et d’une zone de huit kilomètres sur chacune de ses rives, ainsi que la «totale souveraineté» sur cet ensemble. En retour, les États-Unis garantissaient l’indépendance du Panama. En fait, il devait y avoir deux gouvernements: un pour le Canal (américain) et un pour le pays (panaméen).
Le canal fut achevé par les Américains en 1914 pour un coût d’environ 387 millions de dollars de l’époque. Il mesurait quelque 80 km de longueur. Les États-Unis demeuraient propriétaires de la zone du canal (le «Canal Zone»), soit 16 km de large sur 80 km de long. Ce fut, jusqu’à la rétrocession du canal, un État dans l’État, ce qui permettait dans un environnement «pacifique» de maintenir une présence militaire américaine dans la région. Dans cette zone du canal, Washington déploya jusqu’à plus de 10 000 soldats répartis dans 14 casernes et forts.
La zone du canal devint le centre d’entraînement des forces armées américaines et d’Amérique latine, un centre d’espionnage continental et une base d’appui aux opérations de contre-insurrection. Bref, cette zone du canal recouvrait un territoire 1474 kilomètres carrés sur lequel Washington exerçait une souveraineté entière: un État indépendant créé de toute pièces par et pour les États-Unis
Le canal de Panama devint aussitôt après son ouverture un passage obligé pour les bâtiments naviguant entre les océans Atlantique et Pacifique, ce qui leur évitait le long périple de 14 800 km, le long des côtes du continent sud-américain et le dangereux détroit de Magellan à la pointe de l’Amérique du Sud. Étant donné que les États-Unis contrôlaient le canal, la plupart des postes de direction furent confiés à des citoyens américains.
Au lendemain de l’ouverture du canal, une grande partie de l’économie du Panama commença à dépendre de la rente annuelle versée par les administrateurs du canal et des milliers d’emplois — environ 8000 — créés pour son entretien. La langue anglaise s’installa dans le pays et fit concurrence à l’espagnol. Dans la zone du canal, les temples, les églises, les bureaux administratifs, les médias, les commerces, etc., ne fonctionnaient qu’en anglais.
Cependant, depuis l’indépendance, la vie politique du Panama a connu de nombreux soubresauts, car les relations avec les États-Unis sont demeurées tendues. N’oublions pas que les Américains contrôlaient tout le secteur du canal et y ont investi près de trois milliards de dollars dans l’entreprise, mais les deux tiers de cette somme étaient déjà récupérés en 1977.
En 1953, le gouvernement panaméen accorda aux autochtones, les Kuna, une grande autonomie dans la comarca de San Blas (les îles de San Blas), aujourd’hui la comarca de Kuna Yala; par la suite, cette autonomie fut étendue à quatre autres communautés autochtones: les Emberá (1983), les Ngobe-Buglé (1997), les Kuna Madugandí (1996) et les Wargandí (2000).
La rétrocession du Canal
En 1968, à la suite d’une série d’élections contestées et de crises constitutionnelles, le général Omar Torrijos, commandant de la garde nationale, s’empara du pouvoir. Celui-ci lutta pour obtenir la restitution du canal. En mai 1976, Ronald Reagan, alors candidat à la présidence américaine, avait déclaré: «Il n’y a absolument rien à négocier à propos du canal. Nous l’avons acheté, nous l’avons payé, nous l’avons construit; il est à nous, et nous le garderons.»
Mais le traité Carter-Torrijos (du nom des présidents américain James Carter et panaméen Omar Torrijos) de 1977 accorda au Panama une répartition plus équitable des bénéfices, la cogestion du canal avec les États-Unis et la disparition progressive de la zone du canal (prévue pour l’an 2000). Ce texte, entré en vigueur en octobre 1979, donnait vingt ans pour assurer le transfert de la zone, ainsi que de l’administration et du fonctionnement du canal, aux autorités panaméennes. Malgré cet accord, les relations entre les États-Unis et le Panama restèrent tendues, du fait que la Canal constituait un État dans l’État.
À la mort de Torrijos, en 1981, son ministre de la Défense, le général Manuel Antonio Noriega devint de plus en plus influent. En 1988, Eric Arturo Delvalle, devenu président en 1985, essaya de chasser Noriega, lequel, par la suite, destitua Delvalle. Noriega gouverna en tant que chef de l’Assemblée nationale et décréta l’état d’urgence. Puis, le régime de Noriega devint de plus en plus répressif et corrompu. Les relations avec les États-Unis se détériorèrent, le président américain (George Bush) appela en mai 1989 l’armée et le peuple panaméens à renverser Noriega, inculpé de trafic de drogue.
En octobre 1989, une tentative de coup d’État contre Noriega échoua et, le 20 décembre de la même année, les États-Unis envoyèrent des troupes au Panama, lors de l’opération «Juste Cause». Noriega se réfugia dans la nonciature du Vatican, mais il fut peu après extradé aux États-Unis.
En 1990, les Américains installèrent au pouvoir Guillermo Endara. Reconnu coupable de trafic de drogue, Noriega fut condamné, en 1992, à purger une peine de prison de quarante ans aux États-Unis. En 1994, l’élection du président Ernesto Pérez Balladares (Parti révolutionnaire démocratique) n’a pas apaisé les tensions. La question du Canal demeura incontournable, car elle était liée au départ des troupes américaines. En 1999, la question de la restitution par les États-Unis de la zone du canal, le 31 décembre de la même année, devint le centre des discussions. Finalement, le commandement américain des forces spéciales pour le sud (Socsouth) devait quitter Panama pour s’installer, à l’été 1999, à Porto Rico. La création d’un «centre international de lutte contre la drogue» — Centre multilatéral antidrogue — pour la sécurité du trafic interocéanique devrait néanmoins maintenir sur place une présence militaire américaine.
Le retrait symbolique des Américains
Rappelons que Washington prétend, en vertu du traité Carter-Torrijos, pouvoir encore intervenir unilatéralement au Panama, sans autorisation préalable du gouvernement de ce pays, si la «neutralité» du canal était en danger. Évidemment, cette thèse est vigoureusement contestée par le gouvernement panaméen, qui a accordé des concessions à une entreprise de Hong-Kong. En effet, c’est la société Hutchison Whampoa, dont le siège est à Hong-Kong, qui s’est assurée la gestion (pour les prochains 25 ans) des ports de Cristobal (côte atlantique) et de Balboa (côte pacifique). En somme, après l’«Oncle Sam», ce serait au tour de l’«Oncle Tchang»!
Mais que vaut le droit international, lorsque l’Empire américain s’inquiète de ses intérêts? Il est vrai que la présence des États-Unis sur le territoire panaméen a toujours eu pour objet de projeter leur pouvoir militaire sur tout le continent. Ce n’est pas pour rien que les Panaméens ont toujours dit: «No hay democracia en Panamá porque no conviene a los gringos» («Il n’y a pas démocratie au Panama parce que cela ne convient pas aux étrangers»). On peut quand même se demander comment un pays de 3,4 millions d’habitants pourrait, sans difficultés, subvenir aux frais exorbitants du canal de Panama.